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La neige n’avait nulle besoin de se profiler pour qu’il sente le froid lui glacer les os. Sa grande veste semble incapable de le protéger de la brise et il contemple avec lassitude la pile de pizza à l’arrière de sa moto, le soleil s’est couché depuis un bon moment et il avait encore plusieurs adresses à livrer. Les pensées immatures, il continue son trajet malgré lui, hésitant de nombreuses reprises à simplement rentrer chez lui et s’empiffrer du contenu des boites. Ce n’est pas comme s’il peinerait à trouver un emploi similaire dans la semaine. Joan continue sa tournée pour une autre heure avant qu’un soupir de soulagement ne quitte ses lèvres quand la porte du dernier client se ferme sur son visage. Il fait tinter le pourboire dans la paume de sa main, jouant avec les quelques pièces en retournant vers sa moto. Loin d’être sa meilleure journée, il avait aussi connu pire. Il fallait s’en contenter.

Les flocons de neige recommencent à tomber au moment où entre le code de son petit studio. « Fais chier. » l’injure est instinctive, l’austérité des lieux l’accueille et c’est sans espoir qu’il appuie sur le bouton du chauffage. La température s’entête à rester basse et il ne s’en surprend pas. Joan ne s’imagine pas passer la nuit ici et il mâchouille difficilement sa fierté, reboutonne sa veste jusqu’au menton et quitte une seconde fois l’immeuble. Les dérives nocturnes à l’appartement de son aîné sont devenues rares ces dernières mois, moins fréquentes qu’avant puisqu’il ne se sent plus autant à sa place. Ils ne le rejettent pas mais ça ne l’empêche pas de se sentir péniblement de trop. Une chandelle entre les deux amants. Pourtant, ce soir, il n’y pense pas. Le froid a vaincu ses inhibitions et il sonne à la porte d’un index tremblant.

« So fucking cold. » une plainte essoufflée, et il repose par automatisme le front contre le torse de Khrys au moment où on lui ouvre, la demande mutine de lui offrir une étreinte. Il sent déjà la chaleur dont irradie l’appartement, à l’image du corps de l’homme contre lui. « Tu es seul ? Cam’ n’est pas là ? » qu’il continue tandis que son regard plonge sur le couloir qui lui fait face. Il n’y avait que le silence.

Soirée tranquille, abandonné à ton sort à défaut d’avoir envie de suivre Cameron à ses activités sociales qui vont l’occuper jusqu’à une heure trop tardive pour la vieille âme que tu es devenus. Ayant troqué les nuits fortement arrosées contre des séries sur Netflix, tu laisses vaquer l’être aimé sans même songer aux multiples possibilités qui pourraient se produire sans que tu en saches le moindre détail. Routine installée dans le moindre de tes nerfs, douche prise avant de venir camper dans la cuisine afin de préparer quelque chose à te mettre sous la dent. Tu optes pour l’option facile, pour un reste de ramens qui traînent dans le frigo depuis deux jours. Le tout mijote, reprend ses couleurs et sa chaleur pendant que tu traînes dans l’appartement, vagabondant en laissant le regard se porter vers l’extérieur. Les flocons sont fins, se fracassent doucement contre la vitre dans un rappel constant que l’hiver est aux portes de la ville, que bientôt la saison du tapis blanc frappera de plein fouet. Le confort de ton foyer contraste avec le monde extérieur, avec cet environnement qui sonne à ta porte.

Les possibilités sont diverses, ouvrant sans prudence pour tomber sur la bouille de Joan. La plainte traverse les lèvres du plus jeune avant que son front ne vienne s’écraser contre ton torse. Rien d’inhabituel depuis toutes les années que tu le connais, le froid ayant une capacité hors du commun à venir lui ronger les os pour le laisser grelottant malgré des températures confortables. Le geste familier tire un sourire sur ton visage, réponse automatique que de venir l’envelopper en le tirant de l’autre côté de la porte qui claque afin de vous couper du reste du monde. « Combien de fois je vais devoir te dire que tu devrais investir dans un meilleur manteau ? » Évidence à tes yeux, tu te demandes toutefois s’il existe une pièce de tissu quelque part dans ce monde capable de le tenir au chaud plus de cinq minutes. Interrogation sur la présence du second habitant des lieux, tu agites négativement la tête et le libères de la brève étreinte. « Il est parti pour la soirée, probablement pour une partie de la nuit aussi. » Et ça ne t’inquiète pas plus que ça. Cameron reviendra quand il en aura envie, assez vieux pour assumer ses propres décisions sans que tu ne sois là à jeter un regard critique sur ses choix personnels.

De l’autre côté, tu sais exactement pourquoi Joan est venu traîner jusqu’à chez toi. « Je fais chauffer un restant de bouffe. T’as mangé ? Je peux partager. » Invitation ouverte à faire comme chez lui, à ne pas se gêner puisqu’il ne l’a jamais fait auparavant et qu’il n’a pas intérêt à commencer - si on oublie cette phase étrange datant de quelques mois.

Derrière cette porte, une chaleur l’attendait, introuvable et différente de ce qu’il aurait pu avoir dans ce petit studio abandonné en cette fraiche soirée de novembre. Saison qu’il fuyait comme la peste, Joan curieux de savoir pourquoi il avait fallu qu’il atterrisse dans un pays à l’hiver si rude, de l’autre côté du miroir. Contrairement à ses croyances durant les premiers jours qu’il avait passé ici, il avait appris que le monde était vaste, tant de continents existaient, des pays où il ne neigeait jamais, ou peut-être, même, le soleil ne disparaissait jamais, baignant sa peau éternellement de ses rayons avenants. La pensée lui a semblé incroyable à un moment, mais son existence l’était tout autant au fond. A chaque hiver, Joan s’en sent envieux. Il reste posté face à cette porte, la patience impatiente, et le simple espoir que les lieux ne soient pas vides. Il est rare qu’il annonce sa venue, laissant le hasard décider à chaque fois, et son impulsivité le guidant bien souvent sur ce chemin familier avant que l’esprit n’enregistre l’information.

Il retrouve le confort du corps de Khrys, de son toucher et de la chaleur qui émane de l’intérieur, le rendant plus impatient encore d’en dépasser le pas de la porte et l’ainé l’y attire rapidement, forçant à travers ce simple geste un soupir de bien être d’entre les lèvres du plus jeune. « Les gros manteaux sont moins beaux. » Réplique boudeuse sur les contours de sa bouche, exhibant avant fierté la pièce sur ses épaules, très tendance mais loin de suffire à le protéger du froid. Peu de choses y arriver, de toute de façon. Il se déchausse, et lève un regard curieux vers Khrys. « Parti où ? » il avait enregistré la suite, conscient que le partenaire de Khrys ne sera pas là pour les prochaines heures. Ce n’est pas la première fois qu’ils sont seuls ; avant Cameron, c’était même la norme entre eux, alors pourquoi à présent que les deux hommes forment la moitié d’un tout, se sent-il étrangement déplacé. Il repousse la pensée même si elle ne reste jamais loin.

« Je veux bien, j’ai un peu faim. » Un murmure et cette fois-ci c’est sa veste qu’il abandonne contre le porte-manteau dès qu’il est certain que le chauffage est assez élevé. Tout de l’appartement lui est familier, il y a ses repères et ses préférences. Le coussin face à la cheminé est souvent son lieu de prédilections pour de longues siestes, il choisit pourtant le canapé, allumant déjà la télévision. Il a du mal à rester sur place et se redresse après quelques courtes minutes, le trajet jusqu’à la cuisine le fait passer près du contrôleur de chauffage et il y rajoute discrètement quelques degrés de plus avant de rejoindre Khrys. L’homme est dos à lui et il se met sur la pointe des pieds pour avoir une vue sur ce qu’il mijote au-dessus de son épaule. « Ramens ! » s’exclame-t-il enthousiaste, en humant avec plaisir la bonne odeur qui s’en dégageait. C’était un cran au-dessus des nouilles instantanées auxquels son estomac était habitué.

Le froid est vicieux. Il mord, frappe d’engelures les âmes innocentes peu méfiantes de la menace qu’il représente. Saison cruelle, pointée du doigt par plusieurs comme étant la plus terrible. Pointée à défaut par ceux ne sachant composer avec ses caprices et tu te demandes si Joan n’est tout simplement pas un de plus à mettre dans ce panier. Geste automatique, tu secoues la tête en l’observant exhiber son style vestimentaire qu’il ne veut pas couvrir de peur de le ternir. « Les manteaux d’hiver ne sont pas tous moches. C’est impossible que tu trouves aucun de ceux que j’ai au moins passable. » Sinon, c’est un peu insultant, mais tu n’es pas aussi attaché à la beauté d’un morceau de tissu qu’à la tienne. Parfois fier, parfois moins. Tout dépend de l’humeur du jour, sachant mieux que quiconque apprécier le confort d’un sweatshirt et d’un jogging devant la télé un samedi matin. Les interrogations sur le partenaire remplacent le sujet de son accoutrement pour affronter les températures glaciales. « Faire la fête? » Les détails te sont inconnus, n’ayant pas cherché à en savoir davantage. Pas assez inquiet pour le pousser à dresser une liste de ses déplacements et des gens l’accompagnant, de toute façon ce n’est pas comme s’il s’agissait d’une habitude tenace que de sortir. Cameron est plus souvent en ta compagnie qu’il n’y paraît, présence qui s’est faite de plus en plus consistante jusqu’à devoir repousser Joan à quelques occasions. Et tu te sens mal pour lui, pour ce que vous aviez et avez encore sous une certaine forme.

Naturellement, tu l’invites. Portrait du passé qui se calque sur le quotidien en dépit des exceptions évidentes. Des nuances glissées en silence sans avoir à en parler, parce que tu n’as plus la liberté de l’aimer de la même façon. Réalité un peu étrange, tiraillante par moment, mais tu te dis que ça finira bien par passer. C’est ce que tu te dis mois après mois.

Il fait comme chez lui, beauté de sa facilité à prendre ses aises tandis que tu retournes à la cuisine t’occuper de ton repas devenu portion pour deux - tu n’aurais pas tout mangé à toi seul de toute façon. Quelques minutes suffisent avant que le plus jeune ne vienne te rejoindre, découvrant l’identité alimentaire que tu avais omis de mentionner jusqu’à maintenant. « On ne peut rien te cacher. » Courte préparation achevée, tu disposes du tout dans deux bols, en plaçant volontairement une plus grande quantité dans le sien avant de le lui tendre avec une paire de baguettes. « On mange devant la télé? Comme ça je peux chercher un film à regarder pendant que tu me racontes ta journée et tes états d’âme. » En souvenir des détails du bon vieux temps qui ne s’effacent pas, qui restent bien présents surtout lorsqu’il est question de regarder un film en mangeant en laissant le cadet s’approprier la moindre couverture dans un rayon de dix mètres.

« They look better on you. »murmure-t-il, reniflant par la même occasion tandis qu’un énième frisson vient faire trembler son échine. Il appréciait bien plus les grands manteaux sur la stature plus imposante de son ainé, et préfère ne pas imaginer à quoi lui-même ressemblerait dans un pareil accoutrement, on ne verra surement pas ses pieds. Cela restait aussi une excuse pour se blottir contre lui et espérer lui dérober un peu de sa chaleur. Il accueille agréablement l’absence de Cameron tout comme il s’en étrangement déçu, il ne s’y intéresse pas plus, Khrys ne semble pas plus se poser des questions quant à la localisation de son compagnon et Joan avait à travers ces mots la promesse silencieuse de plusieurs heures en tête à tête. Comme au bon vieux temps. Pensée amèrement douce qu’il cultive en entrant à l’intérieur de l’appartement où il prend rapidement ses aises. Tout lui est familier, presque un second chez soi. Mieux rangé et plus chaud que son studio, et surtout d’où émanait la bonne odeur d’un repas qu’on réchauffe de la cuisine où Khrys est reparti aussitôt.
Joan prend soin de glisser le chauffage sur quelques températures en plus, il en aurait surement mis plus s’il ne craint pas que Khrys le remarque, ou pire, qu’il étouffe de chaud. Bien que la perspective de son ainé se délestant de quelques couches de vêtements ne soit pas des plus désagréablement non plus. Il sourit bêtement, puis sa curiosité prend le devant – peut-être le manque de l’autre aussi, l’envie d’être un peu plus à ses côtés, le pousse à le rejoindre et essayer de deviner ce qui leur fera office de dîner ce soir.

Il attrape le bol que Khrys avec précaution, se délectant autant des effluves appétissants que de la sensation chaude qui se propage sur ses paumes glacées. Il remarque que sa part est bien plus grande que celle du brun et s’en attendrit malgré lui. Des papillons dans le ventre et l’injuste conscience d’être le seul dans cette situation. Il hoche de la tête suite à la proposition de Khrys, une scène qui s’est tant de fois jouée entre eux, une dont Joan ne se serait surement jamais lassé si les choses avaient pris une autre tournure. Il suit Khrys jusqu’au salon, faisant attention à ne pas faire déborder les ramens en prenant place sur le canapé. « On regarde quoi ? Question posée, la bouche déjà pleine de nouilles, c’est trop bon ! » exclamation rapide alors qu’une seconde bouchée prend déjà le chemin de ses lèvres entrouvertes. Il ne prononce plus un mot, le temps d’apprécier la nourriture pour quelques minutes encore, le regard parfois rivé sur Khrys, intéressé par ses moindres gestes. Il finit par reposer le bol presque vide sur la table basse. Un soupir de plaisir lui échappe et il tourne la tête vers le plus vieux, un « Thanks for the dinner. » exagérément poli sur les lèvres, à en devenir presque drôle. « J’ai cru mourir de froid aujourd’hui, y’avait tellement de livraisons à faire, les gens sont trop flemmards. » Les plaintes commencent doucement envers ces gens qui préfèrent rester au chaud plutôt que d’affronter l’extérieur pour acheter leur pizza, bien que ce soit cette propre situation qui lui permette d’avoir un emploi presque stable. Il déplie le plaid posé sur l’accoudoir et le remonte contre lui, jusqu’au menton, et ses yeux reprennent la contemplation de l’écran de la télé. Lentement, il vient chercher la chaleur de son ami, faisant s’effleurer leurs épaules avant d’appuyer progressivement de son poids. « Tu sens bon…comme les ramens. »corrige-t-il rapidement, le ton plus timide.

Compliment avoué qui glisse dans l’oublie, rejeté par mécanisme sans même s’y attarder. Les épaules se haussent aussitôt, geste las qui ne cherche pas à insister malgré les propos qui divergent de cette pensée. « J’ai pas vraiment besoin de six manteaux différents. » Collection qui s'agrandit petit à petit, un ajout par-ci par-là qui ne fait que créer une accumulation inutile puisqu’il t’est impossible de tous les porter en même temps. « Mais comme tu veux. Si tu préfères te geler dehors, c’est ton choix. » Ce ne sera pas faute de ne pas lui avoir offert mieux, à défaut d’avoir les moyens de jeter ton argent par les fenêtres pour combiner sa fragilité au froid et ses goûts luxueux inabordables.

Tu ne remarques rien de ses manigances sur le chauffage, peut-être trop habitué aux variations de températures lorsqu’il est dans les parages au point de ne plus y prêter attention. Tu t’occupes, afféré à terminer les préparations de ce qui constitue un repas de soirée rapide. Quiétude solitaire de courte durée, le plus jeune venant rapidement prendre la cuisine d'assaut - un moment parfait puisque tu peux en profiter pour séparer les portions et lui octroyer la sienne et passer ensuite au salon. Tu n’as pas trop d’idées sur quoi regarder, spécifiquement. « Une comédie ? » Quelque chose pour permettre d’alléger le quotidien, de se concentrer sur autre chose que le sérieux de la routine même si tu as déjà la visite surprise de Joan pour aider à effacer ce poids. Il te fait sourire, déjà plongé dans son repas alors que tu en es encore à trouver une position confortable de ton côté, ce qui mérite quelques minutes supplémentaires avant de te rendre compte que la télécommande de la télé est hors de portée et qu’il te faut te défaire de ton équilibre. Prise deux, confort retrouvé et tu jongles entre te nourrir et fouiller les possibilités de film même si rien ne semble satisfaire la première impression. Au moins, ta portion est si mince qu’elle se termine assez vite pour te débarasser de ton bol sur la table basse. « Les flemmards qui commandent de la pizza, les pires ça. » Remarque amusée, tu ne le prends pas personnel puisque si tu n’avais pas développé une tendance pour la livraison à domicile pendant tes plus jeunes années, vous n’en seriez pas là aujourd’hui. Il se rapproche et tu le laisses faire, peu ennuyé par la posture ou par la proximité qui pourrait gêner considérant ton statut. Des détails auxquels tu ne t’arrêtes pas. « Je… sens bon les ramens ? » Étonnement amusé, malgré tout cette once un peu inconfortable qui préfère nier le fond de l’histoire. « Tout cet argent gaspillé dans les gels douche quand je pourrais simplement me laver avec un sachet de poudre à ramens. »

Un bol brûlant de ramens entre les mains et la présence de Khrys à ses côtés, scène ancrée dans la normalité, s’étant joué tant de reprises ces dernières années qu’il lui serait impossible de les compter. « Une comédie. » répète-t-il en réponse à la question du plus vieux, l’acceptant simplement sans chercher plus loin. Il serait incapable de réfléchir à un film précis, les tendances du genre lui étant plus inconnues que celles de mode qu’il suit avec dévotion. Il n’était pas non plus contre se changer les idées à travers quelques images qui lui extirperait quelques rires. Il doute pourtant de tout suivre, se connaissant, il aura surement rapidement les yeux fixés dans la vide à simplement profiter de la douce température du chauffe et du grand plaid qu’il avait ramené sur son corps, sitôt le bol posé sur la table. Khrys bataillait encore à ses côtés entre le choix d’un film et quelques bouchées de ramens, le plus jeune sourit rapidement face à cette image, l’observant silencieusement jusqu’à ce qu’un choix se fasse à la télévision. « Ils laissent même pas un bon pourboire, ça devrait être obligatoire en pareil sale temps. » continue-t-il sur sa lancée, la grimace haineuse sur les traits enfantins, se laissant aller se besoin d’épancher ses petits problèmes quotidiens et surement dérisoires. Dès que Khrys repose son bol auprès du sien, c’est le signal pour qu’il se rapproche lentement de lui sans risquer de le déranger. Le compliment quitte ses lèvres, sincère au début, il est rapidement rattrapé pour ne pas sembler déplacé. Il ne devrait pas tant s’en préoccuper. Il relève les yeux, soulagé de lire de l’amusement sur les traits du jeune homme et non une expression plus vexée. « C’est pas ça… » commence-t-il légèrement hésitant et le sentiment entêtant qu’il allait s’enfoncer plus qu’autre chose s’il continuait de parler. Seulement, Joan ne sait pas se taire et ses pensées bifurquent rapidement sur des chemins plus sinueux à l’image que l’autre lui impose.

« Tu seras bon, en plus de sentir bon, si tu fais ça. » Les mots lui échappent sans réfléchir, et les rougeurs glissent sur ses hautes pommettes immédiatement. Le pressentiment n’était pas faux, il s’enfonce réellement. Un pli léger se forme au milieu de son front quand il arque les sourcils, les lèvres boudeuses, irrité de ne voir aucune issue à ses paroles maladroites. « Laisse-moi regarder la télé. » se résigne-t-il finalement en détournant son attention de l’américain pour celle du grand écran, pourtant rien ne change à la distance qu’il avait franchi entre eux et après quelques minutes c’est sa tête qu’il laisse reposer sur l’épaule de Khrys, le rire déjà aux lèvres face à une scène assez drôle.

Jonglant habilement entre ton repas et le choix d’un film à faire défiler sur l’écran de télévision, petit exploit du quotidien qui se dessine dans cette habilité inutile sur plus grande échelle. Décision difficile qui se prend un peu en même temps que la fin officiel de ton bol terminé qui s’oublie sur la table basse du salon, sélection d’une comédie un peu au hasard sans trop porter attention à la description du film. Joan se plaint de trucs évidents qui te font sourire, une si grande innocence s’il se butte à croire deux minutes que les gens puissent être capable d’un fort élan de générosité envers la simple personne qui leur apporte leur commande. « C’est moi ton pourboire, c’est mieux que rien. » Nouvel arrangement qui se fait dès que le champ est libre, télévision fixée sur un choix qui s’ignore déjà à moitié et ton bras qui se passe sur le dossier du divan derrière lui. Le compliment est étrange sortant de ses lèvres, mais tu n’en tiens pas rigueur, préférant t’en amuser que chercher trop loin à y donner un sens inconfortable. Il fut un temps où la blague aurait mené à plus, à un jeu peu subtile de séduction jusqu'à prendre la direction de la chambre. Parce que ça été ça la base de votre relation pendant un bon moment, pendant plusieurs mois dans un confort rassurant qui s'est abruptement terminé avec ta mise en liaison officielle avec Cameron. C'était agréable, mais toute bonne chose à une fin et tu ne veux pas vivre avec les regrets qui se ponctuent de la classique interrogation et si. Tu ne veux pas rater le rêve amoureux pour des histoires de jambes en l'air - parce que tu es assez stupide pour croire que ce n'était que ça. Friends with benefits rétrogradés au rang de simples amis puisque la loyauté et l'honnêteté envers ton partenaire sont des notions qui te tiennent à coeur malgré l’étrange pincement qui se fait ressentir dès que tu portes les yeux trop longtemps sur le plus jeune. Des manifestations intérieures que tu conserves soigneusement sous le silence, que pour toi tant que tu ne sauras pas quelle étiquette posée sur tout ça. C'est donc dans cet esprit que tu te contentes de rire à son ajout, à le malmener sans un mot tandis qu'il se lamente de vouloir porter son attention sur l'écran duquel tu le déconcentres. « Tu prends un peu trop tes aises, je trouve. » Main libre qui désigne le plaid le réchauffant, tu es aussi certain que le chauffage a été touché. Rien de mal. Tu es responsable de cette situation pour lui avoir maintes fois ouvert la porte de ton appartement au point de l'en faire un invité qui n'a plus besoin de s'annoncer. Le sourire sur tes lèvres indique que ce n'est pas un reproche, qu’il peut bien faire ce qu’il veut dans cet appartement qu’il connaît depuis suffisamment longtemps. Le film réussit à capter un instant suffisant pour amuser, divertir dans le rire et faciliter la proximité qui ne se remarque que trop tard. Si sa tête termine contre ton épaule, ton bras a trouvé appui sur la sienne à l’opposée et tu n’as pas le coeur de tout simplement le retirer afin de remettre une distance raisonnable. « Tu veux quelque chose d’autre à grignoter ? » Excuse plus facile, cherchant le moyen parfait pour te défiler des marques affectives sous le murmure mesquin de la culpabilité.  

La présence de Khrys en guise de pourboire, les paroles qui défilent et ses pensées qui s’épuisent déjà ailleurs, lui causant quelques couleurs sur le haut des pommettes avant qu’il ne baisse les yeux, un instant, gêné du peu de contrôle qu’il avait sur sa propre personne. Il tente de les chasser du mieux qu’il puisse. Khrys avait beau être incapable de sonder son esprit et y voir les images qui s’y imposaient parfois, il avait conscience de ne plus y avoir droit. Pas depuis que l’ainé s’était tourné vers un autre, abrégeant leur relation à la simple amitié, là où elle avait commencé le premier jour. Son épaule frôle celle du jeune homme et son regard vire sur l’écran où il tente de suivre chaque action. Le compliment maladroit s’échappe et la tentative de se rattraper est tout autant fastidieuse. Aspect awkward qui n’existait pas avant et dont il a toujours du mal à s’habituer, honnêtement, et peut-être qu’il n’a tout simplement pas envie de s’y habituer parce qu’alors la page serait tournée une bonne fois pour toute. Aucune retour en arrière possible ; simple cliché d’un passé à oublier. Une grimace gâche l’harmonie de ses traits le temps de quelques secondes, afin de signifier le déni face à la plainte du plus vieux. « T’avais qu’à pas me laisser entrer si c’est pour te plaindre. » Un coup d’épaule se voulant faussement accusateur ponctue ses mots, sans que son visage ne se relève pour faire face à celui de l’américain, préservant farouchement son attention pour le grand écran. Et comme pour assure qu’il pouvait faire ce qu’il voulait, il ramène un peu plus le plaid contre lui, y enfouissant la moitié de son menton. Le silence s’en suit et il arrive à suivre le film jusqu’à laisser échapper quelques rires en rythme avec ceux de Khrys.

Le bras de jeune homme s’est déployé pour tomber sur son épaule et Joan avait comblé plus de distance, appréciant cette bulle dans le temps. C’était comme avant ; une trêve qui prendra rapidement fin, mais il en profite égoïstement. Il lève les yeux vers lui, remarquant à quel point ils étaient proches à présent qu’il peut presque sentir son souffle s’échouer sur le visage de Khrys avant même de murmurer la moindre syllabe. « J’veux bien. » Murmure à peine audible. Il n’est pas stupide, il sent le mur s’ériger entre eux, invisible et pourtant insurmontable. Alors il se redresse, quitte le confort de l’épaule avant que ce ne soit Khrys qui n’amorce le premier geste, s’imposant de lui-même le rejet. Il est le seul dont le cœur rate un bête battement à chaque fois, il fallait s’y faire. Il laisse à Khrys sa liberté tandis que sa tête rejoint le côté opposé du canapé, le plaid remonté en rempart.