Rules of Harmony

La musique.
Ces mélodies douces. Ces sons réconfortant qui lui donnait envie de s'oublier. Ces bruits qui lui murmuraient à l'oreille des secrets qu'il aurait voulu garder jalousement pour lui seul. Lui-même ignorait d’où venait cette passion brûlante pour cet forme d’art, mais la musique semblait avoir toujours été présente pour lui dans les moments les plus incertains de sa vie. Quand il avait mal, quand il avait peur. Lorsqu’il était seul ou de mauvaise humeur. Il y avait toujours une chanson qui pouvait le remettre de bonne humeur. Ha-Neul avait un certain faible pour la musique classique; il la trouvait élégante, douce, et tant d’émotion pouvait être partagé par les sons de ces instruments. Mais en général, il aimait pratiquement tous les styles et écoutait de tout, sachant trouver quelque chose qu'il appréciait autant dans la musique populaire qui passait en boucle à la radio que les chansons de groupes plus underground que personne ne connaissait. Et rien ne satisfaisait autant sa curiosité que de traquer de nouvelles chansons et de nouveaux sons ou d'explorer les cds qui se cachaient entre les tablettes chez un disquaire. En trois ans, il était déjà venu à bout de cinq paires d'écouteurs avant de s'acheter quelque chose de qualité et il se sentait toujours triste quand il devait supprimer quelque chansons de son téléphone par manque de mémoire.

C'est sûrement cet amour sincère pour la musique qui l'avait poussé à accepter si rapidement l'offre de Chin Hae, du moins c'est ce qu'il se disait alors qu'il marchait vers le lieu de rendez-vous. La journée était déjà bien entamée et pendant un moment, ce matin, il avait cru ne pas pouvoir y aller; ses jambes étaient encore fragiles par moment et la douleur qu'il avait en se réveillant l'avait cloué au lit pendant une heure ou deux. Mais heureusement, elle avait fini par s'estomper et il s'était empressé de se doucher et de se changer pour aller rejoindre le danseur qui lui avait si généreusement offert de le prendre sous son aile.

Quand il arriva, cependant, quelque chose l’empêcha d’entrer aussitôt. Comme une boule à l’estomac qui lui donnait l’impression que son corps était trop lourd pour lui permettre de faire un pas de plus. Était-il… timide? Pourtant il était quelqu’un de sociable normalement, il aimait rencontrer des gens, se retrouver avec les autres, faire des trucs en groupe. Mais quelques chose chez le danseur rencontré au club l’intimidait presque. Était-ce sa façon de parler de la danse avec tant de passion? Cette élégance qu’il avait lorsqu’il bougeait son corps sur le rythme de la musique? Il n’avait jamais ressenti ce genre de sentiment envers quelqu’un, cette crainte étrange de ne pas être à la hauteur. Ha-Neul alla même jusqu’à se demander ce que l’autre avait bien pu voir en lui pour lui faire une telle offre, pour l’inviter à le retrouver ainsi. Il secoua doucement la tête comme pour chasser cette impression étrange, inspira profondément et avança de nouveau vers l’entrée. Non, inutile de s’inquiéter. Il n’avait jamais été du genre à douter de ses capacités, mais face à un professionnel, c’était un peu différent.

Une fois la porte passée, il retira lentement ses écouteurs, se regard se promenant dans la pièce, détaillant les murs, les décorations, mémorisant la disposition de la pièce - habitude qu’il avait acquise en sortant de l’hôpital - avant d’attraper son téléphone. Il dû se battre un moment avec l’écran fissuré - on t’as pas oublié Seth - avant d’arriver à envoyer un message au jeune homme pour l’avertir de son arrivée.

Il avait semblé évident à Chin Hae depuis son arrivée qu'il n'avait besoin de personne. Personne, vraiment personne, parce que laisser les autres trop approcher, ce n'était jamais qu'une menace à venir. Et puis, il n'aimait pas les gens, à vrai dire, il se sentait inexplicablement agacé par nombre d'individus, qui parfois ne cherchaient même pas à énerver qui que ce soit. Un peu misanthrope sur les bords ? Peut-être. Dans tous les cas, les humains étaient dangereux, tous des traîtres, et, étant lui-même un traître, il avait du mal à accorder de la confiance ou de l'affection à qui que ce soit. Globalement, il interagissait surtout pour combler son ego, pas pour avouer qu'il manquait de contacts humains et que la vérité était qu'il était jaloux d'un peu tous ceux autour de lui. Mais Huguette était suffisante, évidemment. Pourquoi avouer qu'il était au fond un être sensible ? Ce n'était pas vrai ! Il vivait bien avec seulement ses plantes et la musique ! Il dansait toute la journée, et chouchoutait son camélia, c'était parait-il suffisant pour être heureux.
Pourtant, il était évident que tout n'était pas aussi simple, et aussi fort le danseur pouvait le nier, il avait aussi besoin de contacts humains. Avec ses collègues, il était toutefois ardu d'échapper à un interminable ballet d'hypocrisie. C'était plus fort que lui, être agréable naturellement n'était pas dans ses cordes... A quelques exceptions. Pourquoi avait il fallut que ses yeux tombe sur quelqu'un qui puisse autant le captiver ? Pourquoi s'était il laissé piéger, happer dans les filets de choses qu'on ne contrôlait évidemment pas ? Il avait cherché à le retrouver sans pouvoir s'en empêcher, il avait été jusqu'à le retenir de s'échapper à jamais en lui arrachant son nom, son visage pour le graver dans sa mémoire fragile. Il avait peur de l'oublier, perdre la mémoire en était devenu douloureux pour de nouvelles raisons.
S'était il enfin attaché à un humain ?
Probablement. Même s'il ne voulait pas se l'avouer. Il ne faisait que jouer, n'est ce pas ? Est-ce que jouer impliquait de donner des cours et de vouloir couver quelqu'un ? Pour ne pas avouer qu'il avait de l'affection pour sa muse, oui. Ce serait simple de l'oublier, non ? Il n'était pas si faible d'esprit ! Faiblir pour un humain, quelle idée !
Il avait ainsi passer une partie de la matinée à bouder en songeant qu'il avait invité sur un coup de tête Ha Neul. C'était stupide ! Pourquoi faire ça ? Enfin, cela n'avait changé rien pour personne. Ses collègues étaient habitués à voir cette moue insatisfaite placardée sur le visage de Chin Hae. Le voir sourire semblait être une légende pour un certain nombre... L'idée que ce perfectionniste associable laisse quelqu'un entrer dans sa bulle en l'invitant rendait d'autant plus perplexe les autres danseurs. Personne n'aurait songé que la réincarnation de Kaguya parle d'un "ami" qui "viendrait dans la journée".
Ayant lorgné sur son téléphone à chaque pause après avoir répété sur scène plusieurs fois, il aperçut finalement un message venant de l'objet de son intérêt... Car oui, rien ne l'intéressait plus que cet individu à cet instant. L'avouer relevait encore du mythe, mais il avait ramassé son appareil, abandonnant le reste de ses affaires pour rejoindre à l'entrée Ha Neul. Il l'observa détailler les environs des yeux, comme s'il essayait de mémoriser tout ce qui l'entourait, ce qui intrigua (et inquiéta) vaguement le danseur. Et si, comme il l'avait craint en tout premier, il s'agissait d'un Hunter ? Il n'en était pas sûr. Mais à le voir ainsi, il ne se sentait pas le cœur à le suspecter ou l'accuser de quoi que ce soit. Le doux visage du jeune homme ne réveillait qu'une tendresse depuis trop longtemps enfouie dans son cœur, comme si discuter à travers un téléphone avait fait passer sa muse d'une simple inspiration à quelque chose qu'il voulait préserver, protéger.

- Ha Neul, je suis content de te voir, bienvenu à l'opéra de Séoul... Enfin, dans l'entrée.

Il s'était approché lentement, esquissant un sourire sincère. Pourquoi ne pouvait il pas le détester ? Pourquoi ne lui renvoyait il pas l'image amère et désagréable des autres êtres bruyants circulant autour de lui ? Il avait envie d'un contact, mais il se retint d'attraper ses mains en voyant l'appareil à l'écran fissuré dans les mains de sa muse. Comment réussissait il à taper des messages avec ça ?

- Ton téléphone a l'air très abîmé... Tu sais, je peux t'en racheter un, il fouilla dans sa poche pour en sortir son téléphone, et sélectionna l'option "bloc-note" Utilise le mien pour communiquer pour aujourd'hui

Il n'était pas prêt de livrer ses secrets pour avoir l'argent nécessaire à toutes ses dépenses à Ha Neul. Que penserait il s'il lui expliquait qu'il avait des tendances à manipuler les autres pour leur extorquer des sous ? Il n'était pas une bonne personne, c'était ça le problème. Et ce n'était bien que face à Ha Neul, comme quand il imaginait ses parents adoptifs voyant ce qu'il était devenu, qu'il ressentait de la honte. Il préférait chasser ses pensées, parce qu'il avait décidé de vivre pour lui-même pour échapper à ses démons, mais il était faible. Plus faible qu'il ne le prétendait.
Il attrapa la main libre de sa muse, tout doucement, craignant qu'il disparaisse ou s'évapore, son sourire teinté de secrets promettant probablement le meilleur autant que le pire. Il l'entraîna à travers la porte coupe-feu, le fit traverser sans honte les vestiaires avec les vêtements un peu partout des différents artistes, puis l'emmena dans les coulisses, repoussant légèrement les fragiles rideaux de velours pour laisser à l'autre jeune homme l'occasion de voir la scène.

- La scène est libre pour un quart d'heure, personne ne nous dérangera. Que dirais tu d'aller danser ?

Danser lui manquait toujours. Danser avec Ha Neul encore plus. Il lui avait manqué, mais encore une fois, c'était un secret qui allait le rester. Chin Hae avait du mal à ouvrir son cœur, il lui fallait du temps, et lui-même se comprenait peu. Mais en montrant ainsi un morceau de son univers à ce qui aurait pu rester à jamais un total inconnu, c'était comme un premier pas vers quelque chose de nouveau, intrigant, dangereux, mais aussi quelques part monstrueusement excitant. L'art du risque, c'était une nouvelle substance qui s'immisçait peu à peu dans ses veines.

Une fois le message envoyé, Ha-Neul attendit patiemment. Son regard continuait de se promener sur les choses qui l'entouraient, avec un certain intérêt. Après avoir passé des mois dans cette salle stérile, où il avait fini par connaître l'emplacement de chaque grain de poussière par coeur, il appréciait offrir à ses yeux et son cerveau de nouveaux endroits, de nouvelles scènes à explorer. Et puis de connaître son environemment avait quelque chose de rassurant. Il se rapproche d'un meuble, curieux, tout juste comme une voix résonne, appelant son nom. Se redressant, l'étudiant tourne la tête vers Chin Hae qui s'approche de lui. Il répond à son sourire, le saluant d'un léger mouvement de main enjoué. Il suit son regard en remarquant que le danseur regarde son téléphone et a un sourire amusé malgré lui. Il vaut mieux ne pas raconter à Seth que quelqu'un d'autre a commenté sur le bris de son téléphone; le pauvre, il semblait se sentir déjà si mal d'avoir brisé le portable de Ha-Neul. Il en avait assez souffert et il valait mieux ne pas l'embêter plus avec cette histoire.

Il semble hésiter quelques instants avant de tendre lentement la main pour prendre le téléphone de Chin Hae, délicatement, ses doigts effleurants ceux du danseur au passage. Il glisse son propre smartphone dans sa poche. Il utilise aussitôt celui de son interlocuteur pour écrire quelque chose rapidement avant de montrer l'écran au danseur. Il appréciait l'offre de lui acheter un nouveau téléphone, mais il ne pouvait s'empêcher d'en être trop gêné pour accepter. Après tout, ça coutait cher maintenant ces petits appareils. Il ne pouvait pas se permette de s'en faire offrir un alors qu'il pouvait...éventuellement...s'en offrir un.

"Merci. Je vais le changer bientôt ne t'en fais pas. Un petit accident, tout simplement. J'ai mis de l'argent de côté, il faut juste être patient."

Ha-Neul ignorait tout de Chin Hae. Il savait seulement que c'était un danseur exceptionnel et, jusqu'à maitnenant, qu'il avait été très gentil avec lui. Il ignorait totalement ces pensées qui lui trottait dans la tête. Mais il ignorait aussi à qui il avait affaire en vérité. Il serait difficile de dire comment il verrait ce nouvel ami en apprenant la vérité. Cette histoire de traitrise, mais surtout le fait qu'il était un tales. Mais inutile de s'étaler sur des si qui n'arriveraient pas avant longtemps - s'ils arrivaient. Mais de toute façon, lui-même avait ses secrets - et ses inconnus. Qui serait-il pour juger? Sa main se fait attraper et le réflexe du savior est de serrer délicatement les doigts de son ami avant de lui emboîter le pas. Il serre le téléphone de son autre main, suivant le danseur en regardant tout autour alors qu'ils passent différentes pièces. Ses yeux s'Attardent sur les vêtements des vestiaires, puis les rideaux des coulisses, presque tenté de les effleurer d'un doigt. Chin Hae repousse les rideaux, et l'étudiant semble incertain avant de relâcher la main de son nouvel ami et s'avancer de quelques pas. Et quand ses pieds se posent sur la scène, c'est une drôle de sensation qui s'impose. Une mix d'émerveillement et de gêne, en quelque sorte.

Il regarde autour, jette un coup d'oeil aux sièges de la salle, aux lumières au plafond. Il n'a jamais été de ce côté d'une scène et il ne peut s'empêcher de se demander s'il fait bien d'être là. Mais de nouveau la voix de CHin Hae lui parvient et Ha-Neul tourne la tête vers lui. Il sourit doucement, retire son propre portable de sa poche et va poser les deux téléphones plus loin, pour qu'ils soient en sécurité. Puis il file vers Chin Hae, attrape ses deux mains, et le tire avec lui vers le milieu de la scène. Une fois qu'il s'arrête, il hoche vivement la tête en réponse à sa question, puis lâche une de ses mains pour le faire tournoyer sur lui-même, ricanant.

Il apparaissait maintenant plus clairement à Chin Hae le fait qu'il ne connaissait pas la personne qu'il avait face à lui. Les possibilités étaient multiples, au fond il ne pouvait pas chasser l'hypothèse qu'il ait plus ou moins invité un Hunter sur son lieu de travail. Pourquoi aurait il semblé si occupé à inspecter les lieux sinon ? Il devrait peut-être se montrer vigilant... Habituellement, il n'aurait jamais invité avec quelqu'un qui puisse être un Hunter, alors qu'est ce qu'il fabriquait ? Ses stupides impulsions et ses intérêts artistiques allaient vraiment le mener à sa perte.
Pourquoi avait il presque un besoin irrépressible de protéger un potentiel ennemi ? Il peinait à se l'expliquer. Il y avait bien cet imbécile de Reon, qui était lui bel et bien un Hunter, et qui avait tendance à le pourchasser, mais lui c'était différent, non..? Enfin, il était quasiment certain que ce n'était pas Reon qui allait le tuer. Chin Hae était persuadé qu'au fond cet andouille l'aimait bien. C'était donc différent de ce pauvre garçon qui pouvait potentiellement vraiment vouloir sa peau. Il savait par expérience que les Hunters les plus dangereux avaient rarement l'air de l'être...
Le danseur ne prenait pas beaucoup de risques en lui prêtant son portable, si Ha Neul surprenait une notification pour un quelconque message, ça ne serait certainement que Bae Ran demandant à récupérer Huguette ou des messages de collègues... Ou peut-être des messages de ses "sugar daddies", aka les gens à qui il extorquait de l'argent parce qu'au pire, pourquoi pas ? Il fallait s'amuser dans la vie. On ne savait pas quand un Hunter pouvait venir vous faucher... De la même manière, il pouvait rendre service à des collègues ou des... amis ?
Le sourire de sa muse rendit quelque peu perplexe Chin Hae. Qu'avait il à sourire alors que son téléphone était en piteux état ? Par pure méfiance, il ne laissa pas de côté l'hypothèse d'un Hunter, Hunter qui s'était peut-être servit de cette excuse pour emprunter son téléphone et essayer de fouiller dedans pour trouver des preuves qu'il était la cible à abattre. Tant pis pour lui si c'était ça, il ne trouverait que des photos de plantes et les longues discussions sans queue ni tête qu'il entretenait avec l'autre père de Huguette (le tout ponctué d'insultes cordiales, évidemment).
"Un petit accident"... Qui dirait ça ? Est-ce que ce gamin était riche, ou était-il vraiment un Hunter qui cachait mal sa tactique ? Dans tous les cas, c'est un mystère, un risque à prendre. Il était prêt à prendre le risque de le fréquenter, il ne pensait pas qu'il pourrait le tuer s'il était vraiment venu pour ça.
Il avait entraîné ce qui pouvait être un danger après lui, parce que peu importe. Il n'était pas agacé par sa présence, il le supportait, même, il se trouvait qu'il l'aimait bien. Cet inconnu l'inspirait, il avait envie de le garder près de lui. Et parce qu'il le voulait autant, il n'était pas dans ses options de faire quelque chose qui puisse le pousser à fuir. Il lui avait manqué, aussi stupide (et inavouable) soit il.
Il jeta un coup d’œil curieux à son invité quand celui-ci s'arrêta peu après avoir passé les rideaux. Il ne devait jamais avoir été sur scène... Il a l'air intimidé. Alors il se décide à l'interrompre pour l'inviter à danser, celui-ci lui répondant seulement pas un sourire qui semblait bien plus efficace que des mots. Peut-être que c'était parce qu'il était muet qu'il ne l'agaçait pas autant que les autres humains ? Peut-être...

- Ha Neul ? s'inquièta t-il en le voyant repartir dans l'autre sens.

Mais sa muse revint presque aussitôt, semblant être juste allée déposer les portables. Chin Hae se sentit un peu stupide d'avoir crû qu'il allait s'enfuir. Pourquoi est-ce qu'il se sauverait ? Est-ce que... Non, ce serait trop stupide. Pourquoi l'hypothèse que Ha Neul soit un Tale pensant qu'il est Hunter lui soit venue à l'esprit ? Il n'était plus un Hunter depuis plusieurs mois. Et puis, c'était Ha Neul qui avait l'air d'un Hunter, non ?
Il se laissa tirer vers le milieu de la scène, soudainement quelque peu enivré par l'énergie qu'y mettait sa muse. Oui, ça lui avait follement manquer. Il voulait vraiment danser avec lui à nouveau. Est-ce que c'était égoïste de vouloir danser avec lui encore et encore ?
Le danseur fut plutôt surpris par l'initiative prise par sa muse, acceptant toutefois qu'on le fasse tourner. Il ne pouvait pas lui refuser. De toute manière, ce n'était que le début du jeu, il pourrait bien le faire tourner sur lui-même à son tour.

- Hum, ça veut dire que je peux aussi te faire tourner princesse, n'est ce pas ? le taquina la réincarnation de Kaguya, un brin provocateur.

Il entraîna Ha Neul à sa suite dans quelques pas plus simples avant d'à son tour le faire tourner, visiblement satisfait. Il se disait stupidement que ça pouvait aussi être un entraînement pour le prochain ballet de l'Opéra, et qu'il aimerait que ça soit Ha Neul sur scène avec lui plutôt que quiconque d'autre. A quoi bon obtenir un rôle principal dans une pièce si c'était pour ne pas être avec sa muse ? Quel ennui...
Il avait peut-être trop d'affection pour cet inconnu. Etait-ce si étrange ? Cette princesse serait mieux que celle qui avait été sélectionnée pour la pièce. Ha Neul était beau après tout, presque trop beau, quel soucie y aurait il à ce qu'il fasse un rôle féminin ? Enfin, ce serait stupide, et capricieux de sa part de faire la moindre demande à ce propos.
Tout semblait plus simple et harmonieux avec ce quasi inconnu, sa muse sortit d'un peu nul part. C'était comme si chaque pas était instinctif, c'était amusant, et il aimait l'observer, s'adapter à son rythme. Chaque mouvement de Ha Neul semblait être le vers d'un long poème qui faisait battre son cœur plus vite.
Etait-ce trop d'en demander plus ? Il ne voulait pas le perdre, avoir l'impression qu'il n'allait plus jamais danser avec lui.

- Tu ferais une bien meilleure princesse que celle sélectionnée pour le ballet, fit il noter, amer, entre plusieurs pas de danse, Elle ressemble plus à un bambou articulé qu'à une princesse quand elle danse.

Pourtant, la sélection était difficile, ce n'était pas n'importe qui qui pouvait arriver ici. Le producteur la trouvait très bien, l'autre danseuse, mais pas Chin Hae. Il n'aimait pas comment elle bougeait, il n'aimait pas s'adapter à elle, il n'aimait pas s'harmoniser à son style, et il ne voulait pas que ça se ressente dans sa façon de danser.
Il fit glisser délicatement une main dans le bas du dos de Ha Neul pour le tirer à nouveau vers lui et faire des pas de danse plus discrets, qui ne brisent pas la proximité.

- Je pensais t'inviter au prochain ballet. Je peux te réserver une place dans la partie VIP, tu y serais tranquille... On va jouer un ballet sur la Petite Sirène, tu connais un peu ?

Si c'était vraiment un Hunter juste en face de lui, il jouait certainement avec le feu. Mais peu importe. Il lui laissait entrevoir autant d'aspects de son monde parce qu'il le voulait, c'était tout.

Ha-Neul n'avait aucune idée des choses qui tracassent Chin Hae en ce moment. Il savait seulement que la sortie le mettait de bonne humeur, qu'il était en excellente compagnie et que l'environnement avait quelque chose de presque féérique à ses yeux. Il n'avait jamais eu la chance de se retrouver ainsi sur une scène et il ne serait pas exagéré de dire qu'il était émerveillé par cette situation. Quand le danseur appelle son nom, le temps que le savior pose les téléphones, ce dernier s'empresse déjà de revenir vers lui. Il semblait inquiet. Croyait-il que le muet allait se perdre, ou simplement filer pour explorer? C'est donc tout sourire qu'il retourne vers son professeur de la journée. Il ne partirait pas de suite, c'était certain. Il était bien trop heureux de se retrouver là pour manquer cette chance. Amusé alors qu'il fait tourner le danseur sur lui-même, ce dernier n'en attend pas moins pour le taquiner en retour. Riant silencieusement, il hoche la tête puis s'incline bien bas avant que l'autre ne l'entraîne déjà dans des pas de danse que Ha-Neul suit avec beaucoup d'attention avant qu’il ne le fasse tourner à son tour, lui arrachant un nouveau rire silencieux.

Ha-Neul suivait les mouvements du danseur avec beaucoup d’attention. Bien que le garçon n’ait aucune formation de ce côté-là, il y avait une élégance dans ses mouvements qui rendait les quelques faux-pas de débutant beaucoup moins évidents à des yeux moins connaisseurs que ceux de son professeur. Si son attention était portée totalement sur le moment présent, cependant, dans son regard il y avait presque un voile. Un voile qu’on aurait pu méprendre pour de la concentration, heureusement. Mais il y avait autre chose. Une drôle de sensation de familiarité qu’il n’arrivait pas à chasser. Les lumières qui réchauffaient son cou, alors qu’il avait les yeux rivés au sol. Les pas de danse lents, harmonieux. Il arrivait même à s’imaginer murmurer quelques mots à l’attention de son partenaire de danse, grimaçant lorsque ses orteils se retrouvaient soudainement écrasés, puis riant devant la maladresse de l’autre. Mais Chin Hae n’avait aucune maladresse dans ses mouvements; ces derniers étaient au contraire précis, talentueux, et il dirigeait l’étudiant avec beaucoup d’attention. Alors d’où venait cet étrange rêve? Cette impression qui ne le quittait pas depuis quelques minutes déjà?

Le voix de Chin Hae résonne à ses oreilles et le muet redresse la tête pour le regarder, comme s’il réalisait soudainement où il était. Peut-être que la musique et la danse avaient simplement cet effet sur lui, celui de le transporter ailleurs. Le commentaire du danseur le fait sourire et pendant quelques secondes, Ha-Neul pense à se reculer pour faire mine de danser n’importe comment, comme pour ne pas lui donner raison et simplement plaisanter un peu. La main qui se glisse au bas de son dos l’en empêche cependant - pas que ça le dérange de toute façon. La nouvelle proximité, la chaleur du corps de Chin Hae contre le sien, ces sensations de familiarités ne font que continuer de l’enfoncer dans ses pensées. Peut-être avait-il simplement rêvé, une nuit, de ce genre de danse en compagnie de son partenaire, tout simplement. C’était la seule explication qu’il semblait trouver, bien qu’elle n’était étrangement pas satisfaisante. Quelque part, au fond de lui, une petite voix essayait de lui crier de porter plus attention à ces souvenirs qui se débattaient pour refaire surface. Ha-Neul s’empresse de la faire taire. C’était ridicule, tout ça. Il se faisait simplement des histoires. La musique lui était monté à la tête et il se laissait emporter par les mots, le contact, les mouvements.

Il s’empresse de se ramener à l’ordre et fixe son partenaire de danse qui parle de nouveau, proposant de lui réserver une place à un ballet. Le voile pensif est chassé momentanément, alors que l’étudiant retrouve aussitôt son sourire, hochant vivement la tête à la proposition avant même que Chin Hae ne termine sa phrase. Il serait fou de refuser! Il n’avait pas beaucoup d’argent et ce genre d’activité était bien loin du genre de choses qu’il pouvait s’offrir normalement. Et rien ne le rendrait plus heureux que de voir les exploits de son partenaire de danse sur scène. Puis, le reste de la phrase atteint ses oreilles. Un mot précis, surtout, qui fait fondre à moitié le sourire sur ses lèvres. Sirène. Un mot lourd d’images, qui tournoient soudainement dans sa tête. L’éclat d’une plage enneigée, de corail formant un château. Des jeune filles souriantes, le bleu clair d’une eau dans laquelle filtre des rayons de soleil dorés, une caverne sombre entourée d’algues. Et un nom. Un nom qu’il n’arrive pas à entendre, à comprendre, appelé par un autre garçon. Le tout se passe en moins de quelques secondes, mais les mouvements de Ha-Neul se sont déjà arrêtés. Reculant d’un pas, il plaque une main sur son front. Il y avait quelque chose d’épuisant à vivre ces choses inconnues. Après quelques instants, il ramène les yeux vers Chin Hae, l’air lui-même étonné, puis forme le mot Désolé sur ses lèvres, suivit de J’en serais ravi, qu’il prend le temps de bien articuler pour permettre au danseur de le comprendre.