❅ Be The King ❅

Ca ne faisait que quelques mois que j'étais arrivé dans ce monde, aussi cette année était mon tout premier Noël et pas loin après, la fameuse galette. Il me semblait connaître un livre qui s'appelait "roule galette" mais heureusement il n'y avait pas besoin de courir après pour en manger. Il était évident que je ne pouvais pas louper l'occasion de déguster cette pâtisserie que je voyais partout dans les magasins. Ca tombait bien car une boulangerie vendait juste une part, de quoi me permettre de goûter et pourquoi pas essayer plus tard d'en faire une de mes propres mains. Ainsi je pourrais régaler mes maigres amis de cette galette. En attendant, je faisais tranquillement la queue, ne sachant pas si j'en étais encore loin ou pas à cause de ma petite taille.
Après quelques minutes passés à jouer à Tetris sur mon téléphone, venait enfin mon tour et je tendais avec un grand sourire un billet à la boulangère. Comme d'habitude, j'avais le droit à un petit garçon mais ca n'avait pas grande importance. La pâte doucement dorée me faisait rêver et une fois sorti, j'allai m'asseoir sur un banc pour mordre doucement ma part de galette.

Une nuit entière a bosser, à récupérer mon pécule, à former les nouvelles, à cogner deux trois clients à problème, et l'odeur de la clope, de l'alcool qui me colle à la peau, aftershave un peu usé et regard perdu dans des pensées plus chaotiques les unes que les autres, mon ventre gueule famine de tout. De viande, de sexe, d'eau , peut-être même de gnôle artisanal, mais rien de tout ça ne me sera donné avant que j'arrive chez moi et vu que j'ai prêté ma caisse pour une livraison de filles cette nuit, je marche. Bon pour le cœur qu'ils diraient ces cons de médecins ici bas, mais vu mon état, je crois pas que quelconque marche ne me fasse du bien. Trop de choses se sont accumulés ces derniers jours, plus encore mes sens qui se barrent en live, sans aucune raison. Sûr que la marraine, elle s'est choppé une merde comme la gastro ou la syphilis pour que ça vire comme ça. Dix ans que je suis ici et rien de tout ça n'a poussé si fort sous ma carcasse humaine, comme si le monstre ectoplasmique que je suis de l'autre coté voulait exploser cette enveloppe peu solide, mille blattes me fourmillant sous l'épiderme prêt à se déchirer. Les démangeaisons ont rendu ma nuit infernale, et mon humeur a suivi. Et quand l'odeur suave de sucre tiède et de frangipane m'arrive au nez, je me stoppe, les mains dans les poches, la clope aux lèvres. Putain j'ai faim. Ma doctrine quotidienne que je pense tant de fois par jour, sans vous dire à quel point le motif de cet appétit change à chaque fois. Je crache ma clope dans l'égout et une vieille qui vient de sortir de la boulangerie me fixe avec des yeux simili-glaucomes, la bouche frippée, prête à me filer un coup de canne, face à mon acte. Quoi... t'as jamais vu un mec de mauvais poil ? Il marmonne un truc qui aurait pu me sembler doux à l'oreille, et bouge sa canne en ma direction. Je la regarde faire, et elle heurte mon mollet. Sérieux ? Mon regard va de ma jambe à l'octogénaire. Est-ce que je la balance dans l'égout ? J'aurais pu l'aider à descendre les marches, mais c'est mort. Qu'elle galère. Je prends même le temps de l'observer et elle finit par atteindre le trottoir. Pourtant je ne me décale pas pour la laisser passer. Fais le tour. Allez, on se dépêche, t'as aucune excuse , l'arthrose c'est un mythe. Bien sur que je suis un connard et j'en souris presque. Elle me maudit, tant mieux, je le suis déjà , si elle savait. Je peux même pas rêver la bouffer celle-là, j'm'y péterai les canines et elle doit avoir des escarres dans les plis de ses morceaux de corps affaissés. Yerk. Elle me contourne et se coince la canne dans mon pied. Je bouge pas. Une nana passe à coté de moi et voit comment la vieille galère. Et vas-y pour le regard accusateur. Quoi, où t'as vu que j'étais la réincarnation de Gandhi. Je lui ai pas fauché les jambes, elle devrait s'estimer heureuse. Je peux enfin rentrer dans la boulangerie, et sans regarder autour de moi, je file la thune et ressort avec de quoi me remplir le ventre, même si en ressortant, une odeur que je connais me vient au nez. Je cherche autour de moi sans trouver la source de cette sensation. Est-ce que je suis fou ? Un soupir. Je manque de sommeil, je commence à halluciner. Je vais aller prendre une cuite et chanter un truc paillard pour emmerder Seth, ça lui apprendra à m'avoir emmerder quelques jours avant. Faudrait que j'aille le voir d'ailleurs. Il est un peu trop calme à mon goût.

C'était un peu un tradition pour la famille Na. La galette des rois, bien que venue d'ailleurs, n'était jamais omise en début d'année. D'ordinaire, c'était même quelque chose qui se faisait en famille, qui réunissait le temps d'un repas, voire même d'une après-midi, les différents membres autour d'une même tablée. Aujourd'hui ne dérogeant pas à cette sorte de coutume, voilà que Bae Ran et Ji Ran allaient tous deux chercher une galette pré-commandé pour l'occasion. Mais c'était marrant, tiens, l'événement qu'il pouvait y avoir autour. "Ça te dit, Jiran ?" Une question comme ça, si elle souhaitait passer son tour, son frère la suivrait, si elle souhaitait tenter sa chance, il le ferait aussi. C'était aussi simple que cela. D'un commun accord, ils s'étaient donc rendu dans cette fille spéciale, écoutant les différentes règles du jeu qui pourrait suivre si on le souhaitait. Les doigts croisés, Bae Ran se demandait si cette année encore la couronne finirait sur sa tête. Non pas qu'il n'appreciait pas le fait de se considérer roi l'espace d'un instant, mais disons qu'à force, ce n'était plus surprenant. "Si j'ai la fève encore, j'imagine que tu veux toujours être ma reine ?" Qu'il demande alors à sa voisine, déposant délicatement sa main sur le haut de sa tête. L'étudiant sourit, et arrive leur tour. Deux parts achetées, il en tend une à sœur, et se décale pour laisser la place au suivant. Maintenant, il ne restait plus qu'à savoir si le sort était pour ou contre lui...

Amoureux des traditions familiales, Ji Ran et Bae Ran étaient allés chercher la galette qu’ils avaient précommandé afin de jouer un peu comme ils en avaient l’habitude. Accrochée au bras de son frère comme toujours lorsqu’ils étaient ensemble finalement, adorant se sentir proche de son aîné même si elle ne l’avouerait jamais à voix haute. Ils virent d’ailleurs une file spéciale en dehors de la pâtisserie où ils avaient la possibilité de voir qui pourrait avoir la fève parmi plusieurs morceaux de galettes qu’ils proposaient. Elle avait bien envie de tenter sa chance et, apparemment, Bae Ran avait la même envie qu’elle. « Bien sûr que je veux ! » Elle lui sourit puis ils se dirigèrent vers la fin de la file pour patienter en attendant leur tour, discutant tranquillement avant d’arriver pas loin de là où ils pourraient acheter leur part de galette. « Bien sûr que je voudrais être ta reine ! Tu seras toujours mon roi à mes yeux alors c’est logique que je sois ta reine, Oppa ! » Répondit-elle sans se défaire de son sourire, lui faisant un clin d’œil alors que c’était bientôt à eux.
Une fois qu’ils purent acheter, ils payèrent leur part puis se décalèrent pour laisser les autres tenter leur chance. Elle regarda son frère manger sa part et fit une moue boudeuse. « C’est nul, pour qu’on soit roi et reine tout repose sur moi et j’ai jamais de chance avec le hasard. » Elle soupira puis mangea son morceau, espérant avoir la fève même si elle partait défaitiste…