do yeon ♮ you made me the bad guy

La jeune femme dégagea légèrement le drap dans lequel était enveloppé le nouveau-né, espérant que celui-ci lui répondre. Morphée avait eu raison de lui, ses paupières s'étaient bien vite closes, bien heureusement pour lui. Il n'aurait pas à faire face à cette déception, dans les yeux de sa mère, celle qui la poussait à vouloir se débarrasser de son propre fils, celui qu'elle avait porté nuit et jour dans l'espoir de garder l'homme qu'elle aimait auprès d'elle pour toujours.



Deux mois. Deux mois de recherches, toujours en vain. C'était deux mois auparavant que le jeune homme avait entrepris de trouver ce maudit miroir, sans succès. Et à la place, il tombait sur un nourrisson dans un drap, et non une glace.. Qui pouvait être assez idiot pour abandonner son enfant sous un arbre ? Le petit aurait très bien pu mourir de froid, ou pire, se faire dévorer par un loup. Les forêts de Wonderland n'étaient pas surent, et pour laisser un enfant ici, seul à son sort, il fallait sérieusement lui vouloir du mal. C'est que le morveux pleurait, en plus, probablement affamé. Un ou deux jours, c'était probablement son espérance de vie. Soufflant de frustration, le Wonderlandais aux cheveux sombres décida de sortir sa gourde de métal afin de le faire boire. Avec un peu de chance, il pourrait rapidement trouver de quoi le nourrir avant de le laisser à quelqu'un dans une auberge. Hors de question de s'embêter d'un bébé, non.


Il n'avait suffi que d'un peu de lait pour que l'enfant arrête de crier, jusqu'à même s'endormir là, dans les bras du Wonderlandais qui n'avait pas encore pu faire de pause. Le jour suivant n'avait encore été composé de longues marches, et durant le troisième, il avait enfin décidé de faire une escale à l'auberge d'un village coincé au fin fond d'une vallée. Hélas, personne n'avait voulu reprendre la garde du gamin abandonné, et l'homme n'avait pas eu le choix de le garder encore un peu avec lui. Des semaines, puis des mois.. Il s'y était attaché, et peut-être que trimballer un enfant pour rechercher le fameux miroir n'était pas là meilleur des idées. "Gamin", c'était comme ça qu'il l'appelait au début, jusqu'à un jour remarquer la petite chaîne en argent qu'il portait au cou.


Et il grandit vite, Kieran, il doit désormais faire de son mieux pour suivre le Wonderlandais, à à peine deux ans. Alors le voilà qui gambade, à l'aide de ses petites jambes, et quand il est fatigué, il grimpe sur le dos de l'homme. Il ne connaît pas son nom, il sait juste qu'il cherche à retrouver les siens, au-delà d'un grand miroir. L'enfant ne parle pas beaucoup, il a été éduqué pour ne pas trop poser de questions, pour ne pas se plaindre, aussi. Et un jour, il finit par le voir. Entre deux arbres, étonnement grand, le miroir d'Alice. L'homme lâche la main du petit garçon, il s'en approche, sans un mot. Puis, il finit par se retourner pour se demander si Kieran trouvera sa place, de l'autre côté. Une main tendue, attrapée, et le gamin fini par traverser à ses côtés.


Une, deux, trois.. Vingts minutes. Il l'a laissé ici, sur ces marches, contre ce mur, mais il ne revient pas. Une heure, et Kieran continue d'espérer. Deux heures, l'enfant se recroqueville sur lui-même, de chaudes larmes commencé à perler lentement sur ses joues. Trois heures, il ne reviendra probablement pas. Et pourtant, peut-être que l'homme aurait souhaité le prendre avec lui, peut-être qu'il aurait voulu mettre fin à cette course-poursuite. La porte de devant s'ouvre sur une vieille femme qui le fait entrer de force malgré ses pleurs, alors qu'il essaie de lui faire comprendre qu'il attend encore quelqu'un.



Elle est douce, elle a l'air gentille, et sa manière de le faire entrer le rassure, malgré cette hésitation qui le prend aux tripes. Il continue de pleurer, silencieusement, cette fois, et il essai de ne pas faire face aux nombreux enfants un peu plus vieux que lui qui l'observent. On l'installe à une table, et on le force à manger même s'il refuse en hurlant. L'enfant ne sait pas ce qu'il fait ici, ni ce qu'est "ici". Mais ou aller, maintenant ?

Cette petite chambre de dortoir miteuse, c'est tout ce qu'il a, maintenant, bien qu'il la partage avec d'autres garçons plus âgés qui ne cessent de tout le temps crier ou bien se pousser les uns les autres. Plus il grandit, plus il espère un jour pouvoir s'intégrer, pouvoir se chamailler avec eux, aussi.


Du haut de ses sept ans, il sait comment prouver sa valeur. Tout a commencé avec un simple pari lancé, celui d'aller voler de la nourriture dans le cellier de l'orphelinat. Et de puis, Kieran enchaine les bêtises, afin que les autres garçons puisse voir comment il est courageux, exactement comme les ainés qu'il observait, quelques années auparavant. Eux ont quittés l'établissement depuis bien longtemps, mais le jeune garçon n'espère jamais les imiter. Il a su faire de cet endroit son véritable domicile, des autres orphelins ses frères et soeurs, alors pourquoi le quitter ?


Les éducatrices de l'orphelinat l'avaient bien habillé, aujourd'hui, et le garçon savait que l'occasion était spéciale. On lui avait dit de bien se tenir, que l'homme rendait souvent visite aux jeunes enfants, mais qu'il n'avait pas encore décidé d'en prendre un sous son aile. Mais Kieran n'avait pas la moindre envie de quitter cet endroit, et surtout pas la moindre envie de suivre un homme inconnu. "Ka", c'est de cette manière qu'il se faisait appeler ici, personne ne connaissait son vrai nom. On les avait laissés seuls dans une pièce, et le gamin n'avait pas pu quitter l'homme du regard, l'observant avec impertinence pour montrer qu'il ne comptait pas coopérer gentiment.



Une telle audace suffit à faire naître un rictus satisfait sur les lèvres du Hunter. Et voilà que, jour après jour, ce dernier ne cessa pas de revenir jusqu'à réussir à faire parler l'enfant d'à peine huit an. Une certaine alchimie avait fini par se créer, entre eux, une impertinence qui les reliait, un certains goût pour passer outre les règles, aussi. Kieran lui racontait comment il arrivait à se faufiler dehors, à la nuit tombée, comment il pouvait passer par les escaliers en bois sans faire craquer une seule planche, et Ka l'écoutait, en faisant semblant d'être impressionné.


Lui qui refusait de partir, il n'avait au final pas mis longtemps avant d'accepter la proposition qu'on lui faisait, celle de vraiment avoir un foyer. Un père, même s'il ne pouvait pas encore l'appeler comme ça. Il n'en avait pas cru ses propres yeux, en découvrant la maison du Hunter de renommée. Plusieurs étages, une multitude de pièces, un immense jardin, une étonnante collection d'œuvres d'arts.. Un vrai rêve, et pourtant, Kieran finit par comprendre qu'ici, il devrait se soumettre à plusieurs règles. Ne jamais courir, ne pas pénétrer dans certaines pièces, ne jamais mettre son nez dans des papiers.. Et la plus importante, celle pour laquelle Ka le convoqua, un jour.


Le gamin avait bien du mal à comprendre pourquoi il lui demandait cela, aussi soudainement, mais il se plia bien vite à cette ultime règle même en ayant du mal à se faire appeler "Yeon".


Mais voilà que l'homme lui avait demandé d'abandonner son pendentif en remarquant le nom qui y était inscrit, comme pour lui dire de faire une véritable croix sur ses origines inconnues. Le garçon lui avait rendu un air méfiant, en attrapant la chaîne, la serrant entre ses doigts pour que jamais il ne la lui dérobe. Ka n'avait fait que soupirer, déposant une tape sur le haut du crâne de l'enfant avant de quitter la pièce, comme pour prouver sa défaite.


Son corps lui fait affreusement mal, ses bras refusent de bouger, de même pour ses jambes. Impossible de se relever. Son adversaire lui met un nouveau coup dans le torse qui le fait perdre ses derniers appuis. Il crie de rage, et son désir de l'anéantir, lui, en face, est plus présent qu'autre chose. Alors il le frappe d'un poing rageur au visage, d'un coup de genou dans les côtes, jusqu'à ce que le type finisse à terre. Son souffle est saccadé, son corps recouvert de bleus, mais il est fier, Yeon, terriblement fier. C'est la toute première fois qu'il parvient à vaincre l'un de ses opposants, et un peu plus loin, Ka semble fier de lui aussi. Le garçon de quinze ans lâche toutes ses protections au sol avant de se diriger vers les vestiaires. Peu-importe si ses jambes sont couvertes d'hématomes, c'est comme ça qu'il a décidé de s'entraîner, quitte à en mourir.


Il n'en croit pas ses yeux. C'est inimaginable. Et pourtant, l'adolescent à toujours su que l'homme qui l'avait prit sous son aile cachait quelque chose. Quelque chose de terriblement gros. Mais un autre monde, des habitants colonisant la capitale comme de la peste.. Jamais il n'aurait pu croire à ça, si Ka n'avait pas été celui qui venait de lui faire ces aveux.


C'était sa mission, ce pourquoi, il avait été choisi, une dizaine d'années plus tôt. Ça, Yeon n'en revenait pas, et une certaine déception suivait cette réalisation. Pourtant, il lui était reconnaissant, terriblement reconnaissant.


Le regard assassin du Hunter lui avait pour une unique et dernière fois fait comprendre qu'il ne le serait jamais, et que cette appellation de lui ne correspondait pas. Et pourtant, c'était cette place qu'il occupait aux yeux du jeune homme.


Ka venait de lui tendre un dossier où figurait la photo d'une jeune femme, une Savior très impliquée dans la cause des Tales. Elle avait l'air innocente, agréable même. Mais Yeon savait déjà ce qu'il devait faire.



Il joint ses mains entre elles, s'avance un peu plus sur le grand fauteuil, les yeux rivés sur son interlocuteur, sur cet homme qu'il pense connaître par cœur, cet homme qu'il aurait pu appeler père s'il le fallait, bien qu'il n'en ai jamais eu le droit. Il sait bien qu'il n'a pas le droit de faire une simple erreur, Kieran, ou le plan de toute une vie échouera bêtement.

« Hmm, mon nom ? Yeon. Do Yeon. J'ai rien de forcément intéressant à vous raconter, j'ai passé plus de la moitié de ma vie à Sokcho. Mes parents se sont rencontrés à la fac, tous les deux étudiants en sciences. Mon père m'a raconté qu'il lui avait renversé son verre dessus deux fois dans la même soirée, elle a fait de même pour se venger, et voilà comment ils ont finir par se mettre ensembles. Drôle d'histoire, non ? Enfin, je suis né un peu avant leur mariage, pas forcément attendu, mais définitivement voulu. Mon père a vite pu monter sa petite entreprise en ville, en se servant aussi du public sur internet, ma mère a enchaîné les petits boulots jusqu'à trouver un boulot de secrétaire dans une grande boîte. On a jamais vraiment galéré, dans la vie, et être fils unique ne m'a jamais plus dérangé que ça. J'ai bougé sur Séoul il y a cinq ans pour commencer des études en sciences humaines avant de tout laisser tomber. On m'a embauché dans une petite salle d'arcade, et ensuite, j'ai pu dégoter un job dans une salle de sport en tant que prof de boxe. Ouai, je fais de la boxe Thai. Bon, c'est pas si impressionnant que ça, mais je suppose que y'a encore des gamins qui rêves des Jeux-Olympiques alors mon travail, c'est de les rapprocher au plus de ça si je peux. L'organisation.. Oh, euh.. Oui, c'est elle qui m'en a parlé, mais notre relation n'a rien à voir avec ça. Enfin, j'ai vécu des choses aussi, qui m'ont poussé à venir.. J'avais un ami il y a deux ans, il agissait toujours un peu bizarrement et.. un soir, en rentrant alcoolisé, il m'a dit certains trucs concernant un autre monde.. Je l'ai pas cru, mais il a disparu, comme si de rien était. J'ai vraiment eu l'impression que sa présence avait été complètement éradiquée et.. j'ai commencé à croire à ses conneries d'autre monde après avoir pu observer d'autres phénomènes étranges, en plus de certains témoignages. C'est ce qui m'amène. Parce que c'est immorale de penser qu'on doit absolument virer ces gens par simple raison qu'ils sont différents. Ils savent et peuvent s'habituer à vivre avec nous, et ils ne devraient pas être menacés, c'est ce que je pense. Ca n'est peut-être pas mon combat, mais j'ai envie de donner de ma personne pour cette cause. Je connais pas vos critères de recrutement, mais s'il y a des tests à passer, vous pouvez compter sur moi. »

C'était mot pour mot ce qu'il comptait avouer lors de son entretien à l'office de tourisme, c'était déjà ce qu'il avait offert comme information à sa cible principale, sa désormais compagne. Un mensonge tissé dans du fil d'or, un mensonge soit-disant impénétrable, celui qui lui permettrait d'intégrer les Saviors, de finalement remplir sa mission.