Byun Seth || The warm hearted always win

"Condamné à mort ! Voilà cinq semaines que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !", comme débute Le Dernier Jour d'un Condamné de Victor Hugo. C'est ainsi, que, lyrique, le gamin présentait sa morne existence.
Le regard de Seth n'a connu très longtemps que deux fenêtres : celle de la bibliothèque, et celle de sa chambre d'hôpital. La bibliothèque se trouvait dans un vieux bâtiment, la peinture blanche aux fenêtres en bois était écaillée. L'hiver, l'air glacial filtrait à travers la structure, sifflant d'un air presque menaçant pour ceux qui y accorderaient trop d'attention. Mais il y avait assez d'espace pour s'accouder à la fenêtre, et regarder par les carreaux au verres troubles la cour et les allées de Cambridge. C'était une vieille bibliothèque, que peu fréquentaient, puisqu'il y avait cet immense espace non loin de là, avec des étagères hautes comme des tours. Seth craignait les grands espaces, le monde, le bruit... Il ménageait son pauvre cœur, lequel avait une horloge gravée dans sa chair, dont l'aiguille tiquait sans cesse vers un arrêt certain. Il préférait cette petite pièce poussiéreuse et oubliée de tous, avec les vieux livres aux pages jaunies.
Seth, ce n'était pas un garçon bavard. Quand un étudiant voyait ce gamin au regard prétendument sévère, il détournait le regard et détalait. Semblerait il qu'on parlait du fantôme d'un enfant noyé qui hanterait la vieille bibliothèque, et que s'il l'on croisait son regard, on serait à jamais maudits.
L'anglo-coréen s'en fichait, qu'on le prenne pour un vilain fantôme, tout ce qu'il voulait, c'était rester avec les livres, terminer la bibliothèque, avec ses amis imaginaires. Des amis, il en avait pleins, mais aucun d'eux ne pouvait être vu de par les yeux d'autrui. Il disait que ça lui suffisait, mais son âme d'enfant détestait plus la solitude qu'il ne voulait l'admettre. Il aurait tout donné pour avoir un ou une complice, quelqu'un avec qui jouer, partager des aventures, chevaucher des dragons, et concocter des potions...

Seth, la seule fenêtre qu'il avait eu le temps d'imprimer à jamais dans son esprit en dehors de celle de la bibliothèque, c'était celle de la chambre d'hôpital. La structure était blanche et lisse, il n'y avait qu'un tout petit carreau carré, il aurait ouvert la fenêtre, il n'aurait qu'à peine pu y passer sa tête. C'était à l'image de l'odeur des lieux, de l'impeccabilité de cette chambre aseptisée, où il ne pouvait à chaque fois qu'avoir un nombre limité de livres pour lui tenir compagnie. Il souffrait seul, pour ne pas inquiéter ses parents, qui travaillent si dur à Cambridge, ni ses frères, et surtout Flynn, le frère du milieu, qui était à la fois son aîné, son confident et son meilleur ami.
S'il allait trop mal, quand il pleurait avant un examen, son grand-frère lui prenait toujours la main et l'accompagnait jusqu'à l'entrée du bloc en lui racontant des contes de fée amusants. Puis, comme les repas de l'hôpital étaient bien fades et tristes pour un enfant comme Seth, Flynn revenait souvent le voir, sourire aux lèvres dès que les parents laissaient les deux garçons se retrouver, pour extirper chocolats, bonbons aux papiers multicolores et quelques biscuits. Et puis, parfois, il lui ramenait des sachets de thé, qu'il posait sur la petite table, demandant d'un air sévère à ce qu'il les partage avec la gentille infirmière qui lui rapportait parfois des livres.
Il considérait avec une certaine affection ces instants qui éclairaient son quotidien, l'air de l'hôpital étouffant parfois jusqu'à ses envies de lire. Il s'allongeait alors, fixant l'horloge, la main sur sa poitrine, se demandant donc quand ce muscle dans sa cage thoracique s'arrêterait vraiment de battre.
Par delà les folles aventures à travers les pages, et ses songes, bien au-delà des histoires que lui racontaient Flynn sur l'école et le monde extérieur, il subsistait un spectre, une ombre, qui rodait sous les paupières de l'enfant. Aussi ingénu puisse t-il être, il avait bien compris ces mots, quelque chose comme "Si nous ne trouvons pas de donneur avant, il te reste quelques mois, quelques années, pas plus de dix cependant". Or, presque tous les héros de livres étaient au moins lycéen, et Seth n'avait d'yeux que pour des aventures magiques. Il voulait survivre. Il souffrait, il lui arrivait de baisser les bras et souhaiter en finir, tant sa vie n'était que douleurs, ennuis et solitude, mais il rêvait toujours au fond de lui de rejoindre ses amis imaginaires, de partir à la conquête du monde, et d'aller voir tout la haut les étoiles et les constellations...

"En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte." Seth faisait parfois des cauchemars de la même acabit que l'incipit de La Métamorphose de Franz Kafka.
Quand il croisait le regard des autres enfants, il avait toujours l'impression d'être ce coléoptère géant, avec un corps maladroit et terrifiant. Mais à travers les yeux de Flynn, il était juste drôle, à tout renverser et culbuter, comme si son corps ne lui obéissait pas vraiment. Son autre frère aussi, ça la faisait rire... Moins ses parents, qui l'appelaient "mini catastrophe". L'essentiel était toutefois qu'il faisait de son mieux.
Il essayait de voir le monde en positif. Mais malgré lui, il repensait souvent à l'incipit de la nouvelle de Kafka. Peut-être, songeait il, peut-être se réveillerait il métamorphosé en cloporte un matin, plutôt que décédé comme les médecins le prédisaient. Mais il ne savait pas quelle option préférer... Au final, Gregor Samsa n'avait il pas choisit de se laisser mourir après avoir été blessé par sa propre famille ?
Ou peut-être aurait il dû lire l'incipit différemment pour l'adapter à sa réalité.
C'était en effet un matin de décembre, le lendemain de Noël. Cela faisait quelques années que Seth ne l'avait plus fêté à leur maison de campagne hors de Cambridge. Mais son état s'était stabilisé, et les médecins avaient dû avoir un peu pitié de lui. Ce n'était qu'un adolescent, on ne lui donnait plus beaucoup de temps, alors à quoi bon bon s'acharner à le garder enfermé dans une chambre lors des fêtes ?
Ce matin là, il s'était levé, avec l'idée de dire au revoir à ses grands-parents venus de Corée passer les fêtes avec eux, profitant que Seth soit là. Il songeait au livre que lui avait offert Flynn, un ouvrage mystérieux qu'il n'avait pas pu ouvrir la veille car son aîné l'avait grondé en usant de ces mots "Tu ne dois surtout pas le lire aujourd'hui. Tu le liras plus tard, tu comprendras après.". Le livre était encore emballé dans un papier rouge à poids jaunes, et, peut-être pour se moquer de la maladresse de son cadet, Flynn avait enroulé le paquet avec du ruban.
Ce matin là, il avait ouvert la porte de sa chambre, regardé à gauche et à droite pour voir s'il y avait quelqu'un dans les couloirs. Il avait aperçu son autre frère, lui avait sourit, celui-ci lui rendant son sourire pour venir arranger le col de sa veste de pyjama. Seth était fier, il dépassait un de ses aînés désormais ! Celui-ci était étudiant à Cambridge, et était aussi brillant que ses parents auraient pu l'espérer. Seth avait très hâte de pouvoir le rejoindre, il avait travaillé si fort jusque là ! Il voulait être aussi doué que ses frères ! Et puis, il aimerait bien étudier les étoiles... Comme ça, il pourrait tout expliquer à sa cousine, si un jour il se rendait en Corée à son tour !
Ce matin là, il s'était rendu jusqu'à la porte de la chambre de Flynn, ses pieds nus sur les lattes en bois de l'étage. Il avait tout doucement frappé, comme à son habitude. Mais n'obtenant aucune réponse, il s'était l'espace d'un instant demandé si son frère était déjà descendu. Se penchant sur l'escalier, il avait appelé son autre frère déjà descendu pour lui demander où était le troisième. "Il doit encore dormir !" Quelle aubaine ! Le petit dernier mourrait d'envie de réveiller le benjamin de la fratrie par surprise !
Ce matin là, il avait donc à nouveau frappé à la porte, tentant de percevoir des grognements pouvant trahir que le frère était réveillé : mais rien. Fier de pouvoir faire un sale tour, Seth avait tout doucement actionné la poignée, surpris de constater que la porte était bloquée par des cartons. Il les avait un peu poussés, apercevant un petit papier sur l'un d'eux.
Ce matin là, il avait dû sortir, le petit papier à la main, persuadé de trouver un mot de provocation de son aîné tel que "Le premier qui me réveille, je l'assassine !". Il faisait sombre, les stores étaient fermés, et Seth avait été cherché un peu de lumière en se posant dans l'escalier.
Appelez les cours et n'entrez pas.
Quel genre de tour était-ce ? Seth ne comprenait pas bien ce que voulait dire ce mot. Ce n'était probablement qu'un hasard s'il l'avait trouvé là. Il était revenu à l'entrée, malicieux, cherchant des yeux la silhouette de son frère dans la pénombre en dirigeant son regard vers le lit : il n'était pas là.
Ce matin là, il avait allumé la lumière de la chambre, hurlé de terreur, son cœur l'avait fait soudainement souffrir, il avait vu sa mère entrer, hurler à son tour, scander à quelqu'un d'appeler les secours. Ses yeux s'étaient fermés sur l'image du rez-de-chaussée, son autre frère lui tenant la main, tandis qu'il demandait aux portes de l’inconscience "Il est où Flynn ?".


Seth, il n'avait jamais pensé être celui à devoir pleurer devant la tombe d'un de ses frères. Il songeait qu'il était celui qui allait mourir un jour, sans prévenir. C'était ce qu'il pensait depuis tout petit, quand on lui avait parlé de son pauvre cœur, et du fait qu'on ne trouverait probablement pas de donneur à temps. Il s'y était fait, parfois, il s'était même imaginé son propre enterrement. C'était devenu familier pour lui, un enterrement, mais il s'était toujours plus vu dans le cercueil.
Mais il avait trouvé un donneur. Et il avait perdu un frère. Il se disait qu'il ne comprendrait jamais le geste de Flynn. Il était tellement absurde, tellement stupide, qu'il se demandait même pourquoi sa mère y trouvait, entre ses larmes et ses sanglots, quelque chose d'un tant soit peu héroïque. Peut-être parce que Seth craignait que tout ça n'ait été pour rien. Il ne craignait pas de mourir, ni de vivre, simplement qu'on ait rallongé son existence sans raisons. Et la perspective que son propre frère l'ait condamné à songer à la possible vacuité de son existence le plongeait dans de plus amples réflexions. Pourquoi c'était lui qui avait finalement été choisit pour vivre ? Il craignait de ne pas trouver son utilité.

Seth, il est entré à Cambridge, comme son maintenant seul grand frère. La mort de Flynn l'avait rendu plus sombre, mutique, et les rares individus n'ayant pas eu peur de lui, il les avait fuit à travers des silences interminables. C'était un élève brillant, mais une catastrophe ambulante pour tellement de choses. On parlait souvent de ce garçon grand à l'air sévère, qui tombait tout le temps, renversait un peu n'importe quoi, et avait plusieurs fois cassé vases, verres et autres objets fragiles.  
Il n'avait jamais cessé de rêver, de lire des livres, et de regarder les étoiles en songeant que peut-être Flynn y était pour veiller sur sa famille. Il lui demandait à mi-voix quand il était seul si de là il pouvait voir leur famille en Corée, si tout le monde allait bien. Il n'avait plus envoyé de lettres à sa famille là-bas depuis trop longtemps...
Seth, il ne voyait les portes de l'hôpital que pour les contrôles de la greffe. Il n'y avait pas eu de rejet, et tout ce qu'il restait véritablement comme trace, c'était cette cicatrice sur sa peau. Où était partit son cœur malade ? Il se le demandait parfois.
Il avait découvert le sport, les sensations fortes, et pleins de choses encore qui lui avaient semblées à sa portée que dans la fiction. Il se sentait puissant, et surtout : libre. Il avait fait de la musculation entre ses cours à l'université, pour se défouler, appréciant de pouvoir le faire tranquillement.
Il n'a recommencé à s'ouvrir que lors de sa dernière année à Cambridge, après avoir demandé à partir à Séoul l'année suivante. Il voulait changer d'air, s'éloigner un peu de sa famille et prendre de l'indépendance. Il avait toujours été un peu enfermé, et il lui semblait légitime de prendre son envol s'il en avait l'occasion. Sa dernière année en Angleterre a été une année d'expériences plus ou moins drôles, ses premières soirées étudiantes, ses premières cuites, son inscription dans le club de poésie et celui d'astronomie, sa première fois qu'il séchait les cours pour s'amuser, son tatouage dans le dos de ses parents etc.

Son arrivée à Séoul, c'était le début d'une nouvelle vie. C'était se détacher de tout ce qu'il avait connu pour rejoindre son deuxième pays. Enfin... Le reste de la famille l'a suivit, ses parents, trop inquiets, s'étaient fait transférer à l'université de Séoul. Son frère aîné était déjà partit avant lui, et Seth avait du s'organiser pour que sa famille le laisse se débrouiller. Seth ayant refusé de toucher au livre que lui avait Flynn, il l'avait refilé à son frère, qui l'a emmené à Séoul, et lui demande à chaque fois quand il récupérera son cadeau. Le sujet est source de tensions entre les deux jeunes hommes, Seth se braquant à chaque fois qu'on lui en parle, et évitant de facto son aîné.
Le gros problème de Seth, c'est qu'il est affreusement maladroit, et qu'il ne sait pas toujours communiquer. Tous ses proches savent qu'au fond, c'est un jeune homme extrêmement doux, et qu'il ne ferait pas de mal à une mouche, mais disons qu'en voyant cet homme d'1m81 arriver, avec son regard sévère et sa voix grave, il n'évoque pas vraiment un ours à câliner (drôle, quand on sait que l'étudiant en amasse dans sa chambre, des ours en peluche).
Enfin, c'est ainsi qu'en quelques mois, l'anglo-coréen s'est battit une réputation de brute. Tout cela à coup de quiproquos, d'absurdités, qui faisaient à chaque fois mourir de rire son grand-frère dès qu'il avait de ses nouvelles.

Nouvelle vie, nouvelles aventures, même si Seth est plutôt du genre à aller de catastrophes en catastrophes depuis qu'il a perdu son dernier job de serveur après avoir brisé douze tasses en deux jours.
Il fait de son mieux avec ses études, et c'est peut-être la seule chose qui marche très bien, en considérant sa vie sociale chaotique malgré ses efforts. Il dit qu'il s'en moque, mais au fond, c'est vrai que ça le rend triste... Enfin, ça, c'était jusqu'à ce que d'autres histoires rallument son regard.
Il existerait dans cette ville, des personnes clamant venir d'un monde lointain, une dimension parallèle et magique, et vivant la même vie que les personnages des contes que Seth affectionne tant. Piqué de curiosité, il cherche depuis à mettre la main sur la vérité, mourant d'envie de croiser un de ces individus.
Mais les personnages de contes existent ils vraiment ? Pourquoi s'attacher à croire ces rumeurs stupides ?